Drôle, Émouvant, Troublant

Drôle, Émouvant, Troublant
01/08/2014 borisio

Le Lieutenant d’Inishmore: Drôle, émouvant, troublantTout est là : verte colline, moutons, fusil… Symboles incontournables de l’Irlande, mis en valeur par la scénographie minimaliste de Žanko Tomić. Irlande qui, cependant peut être interprétée comme l’hémisphère terrestre, suggérant qu’au niveau d’une métaphore globale, l’histoire que racontent Martin McDonagh et la troupe Yorick n’est pas seulement l’histoire d’un quelconque patelin d’Irlande où la violence fait partie du quotidien, mais une histoire sur le monde dans lequel nous vivons.Et pour commencer: « Le Lieutenant d’Inishmore » du dramaturge contemporain britannique Martin McDonagh, dans une mise en scène de Žanko Tomić est sûrement,– à tous les plans – la réalisation la plus mûre et la plus complète de la troupe de Novi Sad. Il s’agit d’une représentation qui, en effet, possède toutes les qualités originales à la mise en scène de Tomić : engagement, précision du décodage de la proposition, bon travail avec les comédiens, adéquation du rythme et de l’imagination, mais sans digression, théâtralisation. McDonagh, dont l’œuvre dramatique est classée dans l’esthétique « de sang et de sperme » par les théoriciens, parle avec une poétique basée

sur un humour noir qui fait rire, émeut et trouble, de la brutalité de la violence ainsi que de ses victimes absurdes, le plus souvent « collatérales » et de ce fait, encore plus tragiques. Dans ce cas concret, l’auteur dirige la pointe de sa critique vers l’hypocrisie sur laquelle reposent les normes « morales » de la civilisation contemporaine et son système de valeurs qui, dans la pratique, s’écarte essentiellement de ce qu’il proclame en théorie, du moins quand il s’agit de la vie humaine.Interprétant le personnage du névrosé autoproclamé « lieutenant d’Inishmore » qui, à la nouvelle de la mort de son chat bien-aimé entreprend tout un enchaînement d’assassinats, Milorad Kapor a réalisé son rôle le plus mûr, le plus complexe et le meilleur jusqu’à maintenant. Padraic est convaincant autant dans les scènes de « folie » que dans celles que nous pourrions qualifier de lyriques (scènes d’amour grossières et tendres à la fois) et que dans celles où, prêt à tuer son propre père, il verse des larmes sincères sur la mort de son chat.

Miroslav Fabri dans le rôle de Donny (il suffit de le voir, penché sur son fils, dépourvu de pathétique et, en apparence d’émotion) et Milovan Filipović dans celui de Davey (dont l’intonation verbale monotone provoque autant le rire que l’empathie) forment un brillant tandem. Kristina Radenković dans le rôle de Mairead, pendant féminin de Paidraic et continuatrice de sa « stratégie », oscille adroitement entre la féminité et une cruauté de folle, tandis que Ninoslav Đorđević, Dragan Stojmenović, Ivan Đurić et Marko Marković, en donnant à leurs personnages peu différenciés dans le texte, un cachet d’originalité et des caractéristiques véritablement dramatiques, créent des épisodes spirituels et bien nuancés. La poétique stylistique et pure de cette représentation est soutenue scrupuleusement par la costumographe Jovana Despić ainsi que par l’émouvante musique irlandaise dotée par endroits de notes ironiques et qui a été choisie par le metteur en scène lui-même.

D. Nikolić, DNEVNIK